Buffet, détail.

Le 7 février, 2020 — 10:16 pm

Sur l’étagère du bas de ce buffet (voir la photo Buffet, Hall d’entrée, pour un aperçu global), se retrouvent des sous verres achetés à Montpellier, dans le sud de la France. Ils représentent des publicités du peintre Alfons Mucha, grand nom du mouvement Art nouveau. Je fus dans ma vingtaine follement admirative de cette esthétique toute d’arabesques et de volutes fleuries, glorifiant une féminité doucement voluptueuse. Je suis encore totalement sous le charme de ces gracieux entrelacs.

Deux magnifiques ouvrages soi-disant ‘pour enfants’ complètent harmonieusement le décor de cette étagère où apparait une photo de Maman, souriante malgré sa santé alors chancelante.

Le premier s’intitule ‘La forêt des Lilas’, de la célèbre Comtesse de Ségur, richement illustré par Laura Rosana. Un délice que ses illustrations aux exubérants coloris et aux motifs intégrant paisley, moucharabieh et dentelles anciennes. Quant au texte, il s’agit d’un des contes de fées imaginés par la Comtesse, largement inspiré des classiques ‘Cendrillon’, ‘La Belle et la bête’ et ‘Peau d’Âne’. On y retrouve une princesse appelée Blondine, une marâtre nommée Fourbette, le chat blanc Beau-Minon et sa mère Bonne-Biche, un perroquet et une tortue magiques, le tout dans un contexte de transgression, comme souvent dans les contes de Grimm ou de Perrault. 

Cet extrait des ‘Nouveaux Contes de fées’ m’avait enchantée lorsque j’étais enfant. Je dois avouer cependant que ce sont deux passages d’un autre conte du même recueil, intitulé ‘Histoire de la princesse Rosette’, qui m’avaient transportée et littéralement ensorcelée. Voici ces extraits, retrouvés au fil des e-pub gratuits accessibles en ce siècle numérique. 

(…) « Tu vas donc à la cour du roi ton père, ma chère Rosette ? dit la fée. – Oui, chère marraine, j’y vais pour trois jours. – Et quelles toilettes as-tu préparées pour ces trois jours ? – Voici, ma marraine ; regardez. » Et elle montra la caisse encore ouverte. La fée sourit, tira un flacon de sa poche, et dit : « Je veux que ma Rosette fasse sensation par sa toilette : ceci n’est pas digne d’elle. » Elle ouvrit le flacon et versa une goutte de liqueur sur sa robe ; immédiatement la robe devint jaune, chiffonnée, et se changea en grosse toile à torchons. Une autre goutte sur les bas en fit de gros bas de filoselle bleus. Une troisième goutte sur le bouquet en fit une aile de poule ; les souliers devinrent de gros chaussons de lisière. « Voilà, dit-elle d’un air gracieux, comment je veux que paraisse ma Rosette. Je veux que tu mettes tout cela, Rosette, et, pour compléter ta parure, voici un collier, une attache pour ta coiffure et des bracelets. » En disant ces mots, elle tira de sa poche et mit dans la caisse un collier de noisettes, une attache de nèfles et des bracelets en haricots secs. Elle baisa le front de Rosette stupéfaite et disparut.

Rosette et la nourrice se regardaient ébahies ; enfin, la nourrice éclata en sanglots. « C’était bien la peine de me donner tant de mal pour cette pauvre robe ! le premier torchon venu aurait aussi bien fait l’affaire. Oh ! Rosette, ma pauvre Rosette, n’allez pas aux fêtes ; prétextez une maladie. – Non, dit Rosette, ce serait désobligeant pour ma marraine : je suis sûre que ce qu’elle fait est pour mon bien, car elle est bien plus sage que moi. J’irai donc, et je mettrai tout ce que ma marraine m’a laissé. » Et la bonne Rosette ne s’occupa pas davantage de sa toilette : elle se coucha et dormit bien tranquillement.

(…) Rosette se mit à défaire sa caisse ; elle avait le cœur un peu gros ; elle tira en soupirant sa sale robe en toile à torchons et le reste de sa toilette, et elle commença à se coiffer devant un morceau de glace qu’elle trouva dans un coin de la chambre. Elle était si adroite, elle arrangea si bien ses beaux cheveux blonds, son aile de poule et l’attache faite de nèfles, que sa coiffure la rendait dix fois plus jolie. Quand elle fut chaussée et qu’elle eut revêtu sa robe, quelle ne fut pas sa surprise en voyant que sa robe était devenue une robe de brocart d’or brodée de rubis d’une beauté merveilleuse ! Ses gros chaussons étaient de petits souliers en satin blanc rattachés par une boucle d’un seul rubis d’une beauté idéale ; les bas étaient en soie, et si fins qu’on pouvait les croire tissés en fil d’araignée. Son collier était entouré de gros diamants ; ses bracelets étaient en diamants les plus beaux qu’on eût jamais vus ; elle courut à sa glace, et vit que l’aile de poule était devenue une aigrette magnifique et que l’attache en nèfles était une escarboucle d’une telle beauté, d’un tel éclat, qu’une fée seule pouvait en avoir d’aussi belles.

Rosette, heureuse, ravie, sautait dans sa petite chambre et remerciait tout haut sa bonne marraine, qui avait voulu éprouver son obéissance et qui la récompensait si magnifiquement. »

Et oui, la midinette en moi adorait ces descriptions de tenues tantôt modestes, tantôt extravagantes. Je n’avais aucune idée de ce que signifiaient les mots ‘nèfles’, ‘aigrette’ ou ‘escarboucle’, mais leur seule sonorité me faisait vivre un état proche de l’extase!!!

Et je me délectais par ailleurs des aventures vécues par les héroines de la moralisatrice Comtesse, dont l’intrépidité et la curiosité leur attiraient immanquablement des châtiments que l’on qualifierait aujourd’hui de mauvais traitements. On se souvient des ‘petites filles modèles’, de Sophie et de ses ‘malheurs’, de Giselle et de ses ‘caprices’. J’avais lu et relu ce dernier récit (‘Les caprices de Giselle’), et m’en était même inspirée pour écrire des saynètes que je mettais en scène avec mes camarades pendant les récréations! Aujourd’hui, relire la Comtesse de Ségur, cela vaut le détour! Quel personnage haut en couleurs! Et, bien entendu, quel chemin parcouru en ce qui concerne l’éducation réservée aux enfants…

 

 

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