Buffet, détail 3.
Le 7 février, 2020 — 10:40 pmSur l’étagère du milieu, un ouvrage à l’illustration de page couverture moins accrocheuse — une tasse et une soucoupe haut perchées sur un échafaudage de volumes dont les reliures s’ornent du titre : « Jane’s Fame : How Jane Austen Conquered the World » — fait lien avec un joli assortiment de délicates tasses et soucoupes présentées (voir aussi la photo intitulée « Buffet, détail 3 ») . Qu’est-ce à dire?
Et bien, il fut un temps où ces merveilles de faience et de porcelaine faisaient l’orgueil de leur propriétaire, des femmes d’intérieur accomplies qui aimaient recevoir leurs amies et connaissances pour la cérémonie du thé, en après-midi. Cet usage est encore aujourd’hui appelé en Grande-Bretagne le « Five-o’clock Tea ».
C’est dit-on à la 7e duchesse de Bedford qu’on doit l’instauration au 19e siècle de ce rituel. Après le Early Breakfast Tea (consommé au lit avec des biscuits secs), le déjeuner se prenait alors très tôt, et le dîner beaucoup plus tardivement. Comme il fallait se sustenter agréablement entre ces 2 moments, une collation accompagnée d’une tasse de thé était donc servie entre 15 et 16 heures. La mode fut alors lancée de partager cet en-cas bien spécial, et cette mode connut un succès remarquable qui devait éventuellement se propager à toutes les classes sociales.
Ma mère, Marguerite Deslauriers-Laverdure, a collectionné ces quelques tasses et soucoupes davantage par apparat que par réel désir d’emboîter le pas à l’héritière des Bedford… En bonne mère de famille québécoise, Maman n’avait pas vraiment le loisir de s’arrêter en fin d’après-midi pour déguster une tasse de thé, car il lui fallait s’activer pour préparer le souper familial! Mais j’aime à croire que l’aromatique breuvage importé d’Orient unit par-delà les époques Catherine de Bragance (infante portugaise et jeune épouse du roi d’Angleterre dont la dot incluait Bombay et son habitude du thé), la noblesse British et ma petite Maman issue de couches plus laborieuses de la société.
Ce qui me ramène au livre portant sur Jane Austen, la plus célèbre femme de lettres anglaise, à laquelle nous devons tant de chefs-d’oeuvre inoubliables : « Raison et sentiments », « Orgueil et préjugés », « Mansfield Park », « Emma », « L’abbaye de Northanger », « Persuasion », « Lady Susan », etc. . Je dois avouer ne pas avoir lu cette ‘chronique informée et élégante de l’ascension de la divine Jane’ (selon ce qu’en dit une citation de Maureen Corrigan). Je suis néanmoins fière de la posséder, car j’ai une vibrante admiration pour l’écriture et l’univers de cette écrivaine de génie, qui fait désormais l’objet d’un véritable culte. Je me plais à rapporter ici les propos de l’écrivain français Fabrice Colin, tirés de Le musée imaginaire de Jane Austen, illustré par Nathalie Novi, Albin-Michel, 2017, p. 133 et 129 :
« Nous sommes tous, aujourd’hui, des nièces et des neveux de Jane Austen, attendant qu’elle nous régale, encore et toujours, de ses extravagances et pare des « couleurs de son imagination fantasque » les détails les plus insignifiants de nos vies »
« Ce qui est prisé, ce ne sont pas seulement ses livres, maintes fois adaptés pour le petit et grand écran; c’est aussi un art de vivre délicieusement suranné, un mélange unique d’élégance, de drôlerie et de tendresse, une ode discrète aux déraisons de l’amour. »
Qu’il suffise de rappeler, pour les tempéraments moins littéraires, une scène ô combien marquante du cinéma anglais, dans laquelle se distingue le viril Colin Firth (dans le rôle du taciturne Darcy). Celui-ci, las de ses ruminations romantiques sur les berges du lac de Pemberley, retire une première couche de vêtements pour plonger dans ledit lac, en ressortant ensuite la chemise trempée et collée au corps… L’épisode est même disponible sur YouTube… À noter, cependant, que cette scène n’est pas du cru de la divine Jane, mais fut concoctée par un certain Andrew Davies, scénariste qui adapta « Orgueil et préjugés » pour le compte de la BBC en 1995.
Pour compléter le tableau, j’attire votre attention sur la statuette en bois représentant un personnage féminin dont j’aimais à imaginer qu’il s’agissait d’une institutrice de rang, telle la vaillante Émilie Bordeleau, personnage inoubliable campé par la belle Marina Orsini dans une télésérie des années 1990, Les filles de Caleb. Ce feuilleton alla droit au coeur des téléspectateurs québécois, et le couple icônique formé par ladite Émilie et le virilissime Ovila Pronovost (Roy Dupuis) marqua durablement notre imaginaire! 
(Source : Radio-Canada)
Rappelons que ce joyau du petit écran fut adapté du roman éponyme d’Arlette Couture, qui s’est inspirée d’un fragment de son histoire familiale : native de Saint-Stanislas, la vraie Émilie Bordeleau fut enseignante de 15 à 65 ans, et donna naissance à 10 enfants. Une Québécoise pure laine, comme dit l’expression bien connue! Pour en revenir à la statuette, j’en fis l’acquisition au Salon des Métiers d’Art, un geste prémonitoire car je devais exercer moi-même le métier d’enseignante pendant 22 ans, et continuant de le faire à plus petite échelle à titre de tutrice…
D’ailleurs, c’est en raison de mon lien d’emploi avec le Collège privé pour filles Villa Maria (Montréal, Québec) que je reçus les deux cartes d’invitation représentant de ravissantes tasses de thé présentes sur cette même étagère. Toutes les enseignantes de cette noble institution y étaient en effet conviées à un ‘Mother’s Guild Grad Tea’ digne de la plus pire tradition britannique!