Le dernier camelot, de Marie-Reine Lavoie, a été publié aux Editions Hurtubise en 2018. J'avoue tout de go que je suis fan de Marie-Renée Lavoie. Elle écrit aussi des romans pour adultes, dont "La petite et le vieux", "Le syndrome de la vis", "Autopsie d'une femme plate", et plus récemment, "Susanne demande un recomptage". La semaine dernière, je me suis délectée d'un opus plus court, "Les chars meurent aussi". Pour ce qui concerne "Le dernier camelot", ce roman a remporté plusieurs prix littéraires.
Mais qu'est-ce qu'un "camelot", au fait? Comme c'est un travail qu'on ne pratique plus beaucoup de nos jours, il ne faut pas s'étonner que beaucoup d'entre vous devrez consulter un dictionnaire... Vous y trouverez la définition suivante : (au Québec) Personne qui livre les journaux à domicile.
Je laisse à Joe, 13 ans, narrateur de ce roman et personnage principal, le soin de parler de ce métier longtemps pratiqué par les jeunes pour se faire un peu d'argent de poche. On l'écoute : "Je croyais que distribuer les journaux serait beaucoup plus facile. Vraiment beaucoup plus facile. Mais finalement, c'est presque aussi difficile qu'un métier de l'ancien temps. Presque, faut pas exagérer.
Dans les films où j'avais vu des camelots, ils se baladaient en vélo, la poche sur le dos, et lançaient leurs journaux pliés en rouleaux comme si c'étaient des frisbees. Même qu'ils sifflaient, la plupart du temps, pour en rajouter.
C'est n'importe quoi. Dans la vraie vie, on ne peut pas lancer les journaux au gré de notre fantaisie, les clients ont des exigences bien particulières: il y a ceux qui le veulent déposé dans la boîte aux lettres, ceux qui le préfèrent sous le tapis ou debout dans l'entreporte et ceux qui ont des cachettes secrètes dans des endroits un peu invraisemblables (niche du chien, boîte à fleurs, etc.) Personne ne m'a jamais dit : "Garroche-le où tu veux, je vais m'arranger pour le retrouver!"
Et une poche pleine de journaux, c'est un vrai sac de briques qui pèse une tonne. Faire du vélo avec ça relève de l'exploit. C'est tellement lourd que j'ai fini par accepter d'utiliser la charrette que mon père m'avait dégotée je ne sais trop où. Bon, elle n'est pas forcément à mon goût, c'est plus une charrette du genre "mémé-s'en-va-à-l'épicerie", mais à l'heure où je me promène dans les rues, ça n'a aucune importance.
Je mets les journaux dans la poche que je dépose ensuite dans la charrette et ça avance presque tout seul."
Ce passage illustre bien le style et l'univers de Marie-Reine Lavoie. Premièrement, le registre de langue est familier, et fait une large place aux québécismes. L'auteure a grandi dans un quartier populaire de Québec, et ça s'entend! Deuxièmement, il y sera question d'histoire du Québec, car l'intrigue un brin nostalgique nous transporte dans le passé. En effet, Joe voyage dans le temps, grâce à des objets que lui confie Visine, une dame âgée qui compte beaucoup pour lui, afin qu'il les remette à leurs propriétaires : une "lime à ongles d'une demi-tonne", une "ruine-babines", une "montre magnifique et fabuleusement compliquée"... Et nous, lectrices et lecteurs, nous l'accompagnons et découvrons des milieux de vie typiques d'autrefois: une école de rang, un camp de bûcherons, un magasin général, etc.
Et on sent l'amour que l'auteure porte aux travailleurs manuels, par exemple dans cet extrait où Joe décrit les mains de son père menuisier : "Ses grosses mains calleuses m'avaient toujours fascinée, à cause de leur épaisseur, des cicatrices qui les couvraient, des bouts d'ongle manquants, des lignes si profondes qu'une voyante aurait eu le vertige en essayant d'y lire un quelconque avenir. Ce matin-là, par contre, je ne les voyais plus de la même façon : ce n'étaient plus des bouts de corps meurtris, mais de précieux outils."
Et tout ça est raconté avec beaucoup d'humour, et de gouaille à la québécoise... Pour moi, Marie-Renée Lavoie est une auteure qu'il faut découvrir à tout prix!
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Catherine Certitude, c’est un album illustré qui réunit 2 grandes plumes, l’une pour l’illustration (Sempé) et l’autre pour le texte (Patrick Modiano). Une merveille de nostalgie et de douceur, qui parle d’un monde révolu, comme si souvent chez Modiano.
Laissez-vous bercer par ces mots: « Nous restons toujours les mêmes, et ceux que nous avons été, dans le passé, continuent à vivre jusqu’à la fin des temps. Ainsi il y aura toujours une petite fille nommée Catherine Certitude qui se promènera avec son père dans le Xe arrondissement, à Paris» (p. 61).
Ah… Vivre une enfance dans le Xe arrondissement parisien à la fin des années 50, comme Catherine, cela a été l’un de mes rêves les plus chers. Pour l’heure, c’est entre les pages de cet album que je vis cette enfance: j’assiste au lever du rideau de fer du magasin mystérieux que gère Papa (rue d’Hauteville); je déjeune avec lui dans un restaurant du quartier, rue de Chabrol; je suis scolarisée à l’école de la rue des Petits-Hôtels; je joue dans le square devant l’église Saint-Vincent-de-Paul; j’aime qu’en ouvrant les persiennes on puisse contempler les toits de Paris et la verrière de la Gare de l’Est…
Et je ressens une véritable affection pour ce Papa (Monsieur Certitude), qui dit en nouant le noeud de sa cravate : « À nous deux, Madame la vie. »
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“Ces jours qui disparaissent”, une BD de Timothée Le Boucher.


Cette BD, c'est une bibliothécaire qui m'en a parlé récemment. Je triche donc un peu car c'est un texte que j'ai simplement eu envie de présenter comme une sorte d'amuse-gueule.
En résumé, Lubin Maréchal, jeune équilibriste au sein d’une équipe de cirque, se rend compte qu’il a dormi pendant près de 36 heures après avoir fait une chute. En effet, il se présente au travail après une journée complète d’absence. Cela semble anodin, sauf que la chose se reproduit ! Et quand il se réveille avec les cheveux courts, il comprend qu’il ne dort pas un jour sur deux, mais plutôt qu’un "autre Lubin" vit sa vie.... Débute alors un dialogue à partir de messages entre ces deux Lubin si différents. Or, le vrai Lubin s’aperçoit peu à peu que cet autre Lubin prend de plus en plus de place…
Un récit palpitant à la limite du fantastique, qui prend le temps de détailler les effets de ce phénomène étrange sur tous les aspects de la vie du personnage principal : vie sociale, professionnelle, amoureuse. Et l’auteur, en prenant le parti de ne raconter que la version du Lubin original, créé une véritable tension qui va crescendo. Cela se lit tout seul !
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Le plaisir des mots : Dictionnaire poétique illustré, de Georges Jean. On y trouve des mots pour rêver et des poèmes, accompagnés d’illustrations drôlatiques.
Je vous entends qui protestez : qui peut bien avoir envie de lire un dictionnaire ???
C'est que... l'on se balade dans ce livre comme dans un jardin. On y retrouve en effet beaucoup de fleurs. Ainsi, à la lettre « a » seulement : amaryllis, ancolie, anémone, aristoloche, asphodèle. Les bêtes, fabuleuses ou non, y sont aussi omniprésentes : cachalot, caméléon, caille, chimère, cicindèle des bois, cigogne, cobra, colombe, condor, couleuvre, coyote, crocodile. Des trésors particulièrement savoureux nous surprennent au tournant du chemin, tels ceux répertoriés à la lettre ‘H’ : hamac, harpie, hémisphère, hibiscus, hiéroglyphe, hippocampe, hulotte, et (bien sûr) hurluberlu. Un livre de chevet, à la fois instructif et farfelu
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Ma vie de Jello mou, paru en mars 2020, a été suivi en septembre 2020 de Ma vie de Jujube doré, et avait été précédé en octobre 2019 de Ma vie de Gâteau sec.
Les titres de ces trois romans d'Élizabeth Baril Lessard suffisent à faire venir l'eau à la bouche de n'importe quelle ado, gourmande ou pas... Sans compter les illustrations de page couverture, very much dans l'air du temps. Et leur jeune autrice est libraire, un métier qui, comme celui de camelot dont j'ai discuté ailleurs dans Mon ado intérieure, est peut-être en voie de disparition... Cela me l'a rendue immédiatement sympathique, cette Elizabeth, car j'ai moi-même exercé cette noble profession alors que j'étais dans la vingtaine.
D'autant plus que ce genre de trilogie fait fureur depuis pas mal de décennies. On peut penser à la célèbre Aurélie Laflamme, héroine d'India Desjardins dont les exploits se sont déroulés au fil d'une dizaine de tomes et de deux films, avec Marianne Verville dans le rôle principal. On se souvient aussi de Léa Olivier, autre incarnation adolescente créée par Catherine Girard-Audet, qu'on peut suivre dans des romans, bandes dessinées, et même une récente télésérie.
Or, ce qui a capté mon attention lorsque j'ai commencé la lecture du 2e tome, c'est la vivacité de l'écriture. On sent la vie derrière les mots. Et puis, on rit tellement! Voyez par exemple les titres de chapitres : "Plancher trop propre et toilettes diaboliques", " Macarena et arbre magique", "Rudolphe piquant et face de Père Noel étirée", "Sleeping bag frette et araignées mangeuses de chair", et tutti quanti...
Ce qui convient aussi particulièrement bien aux ados occupées du 21e siècle, c'est que le roman est bref (65 pages) et la calligraphie de bonne taille : on joue avec les polices de caractère, ce qui ajoute à l'aisance de lecture.
Découvrez avec Louane les joies d'avoir une meilleure amie dont la Vie est PARFAITE...
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L’homme à l’envers, de Fred Vargas, dans une édition ‘scolaire’, celle de la collection Classiques et contemporains chez Magnard Collège.
Les ados français ont décerné à cette énigme policière le premier prix « Sang d’encre ». C’est un roman étrange où l’on retrouve une bonne dose de fantastique, et surtout des personnages auxquels on s’attache comme à des amis de coeur : le lunatique commissaire Jean-Baptiste Adamsberg, son acolyte Danglard, et puis Camille, Soliman, Suzanne, Le Veilleux (un berger!), dans le décor unique du Mercantour, avec un loup-garou qui rôde et des brebis effarées. Pas ordinaire comme univers littéraire, c’est clair!
Je me souviens l’avoir fait lire à mes élèves de Secondaire 4, qui avaient réussi à créer des pastiches de monologues intérieurs pour chacun des personnages! Ce n’était pas chose facile, et pourtant cela avait remporté un vif succès! Je salue au passage Susanne (pas celle du roman, mais une élève particulièrement allumée) qui est devenue une amie très chère…
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Et parlant d’amie très chère, voici que je tombe sur un opuscule qui s’était perdu entre deux ouvrages plus volumineux :
Les cerfs-volants ensorcelés. La soeur de ma grande amie Marie, Annouchka Gravel Galouchko, a créé ce fabliau et l’a illustré joliment, s’inspirant de l’iconographie orientale. Sur la dernière page, se retrouvent les mots suivants : « À ce moment-là, le vieux professeur se tut. Une larme roula sur sa joue parcheminée. Il regarda tendrement tous ses élèves pareils aux boutons de roses. »
Ce passage m’a rappelé que Marie et moi avons longtemps partagé un même bureau, et un même noble métier, celui justement de « professeure ». Combien de ces élèves « pareils aux boutons de roses » nous avons guidés dans le splendide mais parfois labyrinthique jardin de la Langue française! Ce sont nos Voix, la sienne posée et apaisante, la mienne plus exaltée, qui ont scandé dictées et conjugaisons, qui ont explicité les arcanes de la grammaire, qui ont donné vie aux personnages des romans mis à l’étude, qui ont exprimé avec une même ferveur l’amour de la langue et des univers littéraires. Je te salue, chère Marie! Te souviens-tu de « l’heure d’hébétude », moment de la journée où tu me conseillais avec beaucoup de sagesse de « dételer » après une journée d’enseignement souvent rocambolesque? Souvenirs, souvenirs…
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Bizarrement, voilà que se tient, juste à côté dudit opuscule, un autre tout petit ouvrage, paru aux Éditions Les 400 coups pour le 20e anniversaire de cette maison d’édition (où par ailleurs Annouchka Gravel Galouchko a aussi publié) : Gardiens et passeurs. L’illustre Daniel Pennac, que nous vénérons pour son style « rythmé, glissant, espiègle » et sa saga des inoubliables Malaussène, y réfléchit sur le rôle des « passeurs en littérature », notamment les libraires dont la vocation sacrée n’est pas suffisamment reconnue.
Ceci m'inspire une recommandation expresse... Très chers ados, courez vite chez votre libraire préféré, et faites le plein de merveilles livresques…